Swans Commentary » swans.com 26 mars 2012  

 


 

 

Swans en français

 

Un monde amer
 

 

Christian Cottard

 

Nouvelle

 

 

« Si j'avais un marteau, je cognerais le jour, je cognerais la nuit, j'y mettrais tout mon cœur. »
—Claude François

 

(Swans - 26 mars 2012)   - Ça a commencé comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'était très clair entre nous. J'ai jamais rien dit sur sa façon de vivre. Je la prenais comme elle était. J'essayais pas de la changer. J'étais pas fou. Pas grand monde y serait arrivé. Pas plus moi qu'un autre. Je l'aimais, c'est tout...

J'entendais cette litanie depuis deux jours. Elle finissait par me bassiner, elle m'éreintait, elle m'exténuait, elle me courait sur le haricot. Mais c'est, pour l'instant tout ce qui sortait de sa bouche de pourri. La saleté d'ordure, je ne voyais pas d'autre noms pour ce genre de type qui lève la main sur leurs femmes, ne savait que psalmodier ces quelques phrases. Et, cette enflure, il l'avait, autre que levée, sa putain de main... Tout juste si de temps en temps, ce salopard ne se mettait pas à pleurer comme un nuage d'orage. Mais sur le sien de sort. Je l'aurais baffé. On l'avait alpagué au plein milieu du boulevard, un marteau sanglant dans une main, quand même. Le légiste en avait compté trente deux. Trente deux. Des coups. De marteau, les coups. Il l'avait démolie. On se demandait encore à quel moment et pourquoi il s'était servi du tournevis. Douze, des coups. La plupart dans le cou. Un cruciforme, mais lui, il l'avait laissé sur place. Près du corps étendu, baignant dans une mare de sang à même le carrelage glacé de la salle de bain. Va savoir ce qui se passe parfois dans leurs têtes de déglingués...

- Prends nous pour des passoires, vas-y mon gars ! Fais-toi plaisir ! Tu sais quand même qu'à ce train là, tu es parti pour trente ans de cabane. Un par coup, en somme.

Ce virus nous servait des :

- Et j'ai trouvé ma femme dans cet état, quand je suis entré, il n'y avait plus rien à faire, j'ai ramassé le marteau machinalement, j'étais secoué et je venais vous voir quand vous m'êtes tombé sur le dos...

- Le téléphone, dis, pourriture, c'est que pour les papes, le téléphone ?

- J'avais les mains pleines de son sang, j'étais bouleversé.

Un putain de bricoleur, aussi que ce gars là. On a fini par apprendre qu'il avait acheté tout son matériel (dans le lot, il y avait aussi une pince multiple, une coupante et une tenaille mais il ne s'en était pas servi de celles là, heureusement, on en tremblait...), juste une petite semaine avant le crime chez Mr Brico. Le vendeur qu'on était allé interroger se souvenait bien de lui.

Et pas dans des termes très élogieux. Un vrai casse couille avait-il témoigné familièrement. Mauvais genre, mais bien vu... Il a repris: Du solide, il voulait des outils solides, pas de ces trucs chinois qui pètent à la moindre difficulté. Il a laissé tomber la sentence apprise par cœur: un bon outil, c'est la moitié du travail fait... Putain, on lui demandait pas non plus une thèse, à çui là... C'est bon, c'est bon... On va noter tout ça...

Nom de Dieu de nom de Dieu, le monde était devenu un opéra fou et nous étions debout aux premières loges. On y assassinait les petites filles à coups de couteaux après deux verres dans le nez, on y déclarait des guerres pour un tuyau de gaz, on y laissait mourir de faim des peuples entiers sous prétexte qu'ils étaient loin et qu'on entendait pas leurs cris d'ici, on y frappait sur les femmes comme on dégomme des chamboule tout à la fête foraine et cette sinistre liste pourrait s'allonger encore un paquet sans qu'on arrive à en voir le bout. Pire, on se contentait, la plupart du temps de compter les points. On se le disait souvent ça : un paquebot ivre et on ne trouvait pas les issues de secours. On avait posé nos fesses dans un train dément dont les freins avaient lâché depuis belle lurette. On ne se demandait plus si on allait s'écraser ou couler corps et biens, mais QUAND ça nous arriverait. Et malgré cette conscience froide là, il nous fallait quand même continuer nos enquêtes sur ces hordes de barbares menteurs comme des arracheurs de dents, contre des voleurs escrocs et pour certains meurtriers sans foi, ni loi, ni honte, ni remord, ni regret, ni sens moral... Nous avions dans la bouche, en permanence une amertume. Pour nous, le monde était amer... un torrent de fange folle... Et nous, nous en sommes les dernières digues, avec les urgences et les pompiers. Si nous lâchons c'est tout le système qui lâche...

- Ben dis donc t'as pas trop le moral toi, aujourd'hui ! Tu devrais te reposer un jour ou deux, filer à la campagne voir s'envoler les canards sauvages, admirer les reflets bleus sur le miroir du lac, assister au passage silencieux des nuages sur le dos des champs, entendre le silence étendu des brumes, monter sur la colline pour prendre un peu de recul, aller regarder le tout mais d'en haut... Ça te ferait certainement du bien parce que là tu as mauvaise mine, gars...

- T'occupe de ma mine ! Elle a un rat à débusquer, ma mine !

- De qui tu parles ?

- De la crapule qui a trucidé sa femme à coups de marteau et de tournevis. Il nous fait le coup de la blancheur candide ce saligaud...

- Et vous avez quoi contre lui ?

- Bien sûr, il était un peu jaloux et il avait de quoi. Apparemment, elle, c'était une fille impossible à foutre en cage comme un joli courant d'air. Tous ceux qui avaient essayé de la mettre sous les verrous s'en étaient mordus les doigts. Elle les avait planté là, sans discussion. Celui qui allait réussir à l'entraver n'était pas né. Lui, il s'était équipé une petite semaine avant en outils de bricolage qui ont servi au meurtre.

- Si on doit arrêter tous les gusses qui passent leur samedi à Casto on a pas fini...

- Ah oui, on l'a arrêté à peine deux heures après la mort présumée, une des deux armes à la main, le marteau, ensanglanté, hébété, hagard... Pas net, quoi !

Depuis, on cherche dans tous les coins, la routine. On cherche surtout à savoir où ils en étaient les deux. Douze ans de mariage, douze piges de vie commune on devrait trouver des traces de quelque chose, non ? Z'ont bien dû s'engueuler un peu avant pour en arriver là, non ? Il n'est pas passé directement du romantisme à l'âge de pierre, le lascar. Ils avaient bien un contentieux, les deux tourtereaux !

- Et il dit quoi, lui ?

- Lui ? Qu'il l'aimait. A cœur fendre! Qu'il n'avait jamais rien fait contre elle, qu'il n'avait jamais protesté contre sa façon de mener sa vie, qu'elle était libre d'elle même, qu'il savait qu'elle était comme une anguille mais qu'il avait été prévenu, qu'il savait à quoi s'en tenir, qu'il l'avait épousée en connaissance de cause et qu'il était juste heureux de l'entendre rentrer le soir, enfin certains soirs, pas tous. Mais qu'il s'en foutait qu'il préférait être avec elle comme ça que sans elle. Qu'il n'aurait jamais levé la main dessus que ça n'était pas dans sa nature, alors un marteau, vous pensez bien, encore moins... Qu'il donnerait cher pour qu'on attrape le fêlé qui lui a fait ça et qu'il mériterait, celui-là, d'être en cabane pour le restant de ses jours...

C'est seulement trois jours après les obsèques qu'on a arrêté le vrai meurtrier.

Un des quatre ou cinq amants de la belle qui ne supportait plus de ne pas l'avoir pour lui seul. On l'a chopé, pleurant, qui rôdait, rongé de remords près de la tombe fraîchement refermée. Putain d'amour ! Quand on a la chance de le connaître, on meurt de peur de le perdre et quand il nous manque, on devient fou...

- Belle épitaphe ! Dis, t'es sur que tu veux pas prendre quelques jours ?

Je te sens vraiment à cran... amer...

FIN.

 

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L'auteur

Christian Cottard est né en 1953 et vit à Velleron où il exerce la profession de professeur d'EPS. Il publie régulièrement sur son blog, C'est pour dire ...   (back)

 

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Swans -- ISSN: 1554-4915
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Published March 26, 2012



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