Swans Commentary » swans.com January 29, 2007  

 


 

Les Revendications Démocratiques Du Hezbollah
 

 

by Mohammed Ben Jelloun

 

 

 

[ed. An English transcript of this article is available on Swans.]

 

En revendiquant un gouvernement d'union nationale et un pouvoir de veto sur les décisions majeures, le Hezbollah et ses alliés s'en tiennent fermement à la lettre consociative (multiconfessionnelle) et l'esprit républicain (patriotique) de la constitution libanaise.

 

(Swans - 29 Janvier 2007)   Dans son discours de la prière du vendredi, le premier décembre 2006 coïncidant avec le premier jour de sit-in dans La Protestation anti-gouvernementale libanaise en cours, Cheikh Abd al-Amir Kabalan, le vice président du Conseil chiite du Liban, précisait que les revendications de l'opposition étaient de caractère "consociatif;" "nous sommes pour la participation consociative et non pas le système des majorités et minorités," dit-il. à la différence de nombreux commentateurs, en effet, le Hezbollah et ses alliés ne contestent pas le système constitutionnel en vigueur au Liban; ils ne remettent pas en question ce que Stephen Zune (6 décembre 2006) considère comme étant un système de représentation confessionnel "imposé par le colonialisme" ou ce que Robert Fisk (13 novembre 2006) considère comme étant "une conception française." Au contraire, le Hezbollah et ses alliés se font les champions de la démocratie à la libanaise.

Également, contre toutes sortes d'inquiétudes, de craintes, de soupçons et d'avertissements concernant le Hezbollah, celui-ci bien que renforcé depuis la guerre de juillet-août 2006 n'a guère plaidé pour quelque changement majoritaire dans le système de représentation -- encore moins pour un renversement violent. En fait, le Hezbollah embrassait des formes plus radicales de la démocratie consociative.

Un document (28 août 2006) intitulé "le Hezbollah et l'Etat libanais: Réconciliant une stratégie nationale avec un rôle régional" signé Ali Fayyad, membre du bureau politique et directeur d'un think-tank étroitement affilié au Hezbollah, est tout à fait clair sur ce sujet. Selon Fayyad, "la règle du consensus devint la devise du Hezbollah" à la suite de ce que le parti considéra comme une tentative de la part du côté majoritaire de monopoliser le processus décisionnel par des votes majoritaires :

"L'insistance du Hezbollah sur le fait que le système politique du Liban est démocratico-consensuel fondé sur la règle du 'con-sociationisme' comme stipulée par le Préambule de la Constitution libanaise ne doit pas être considérée simplement une réaction politique à un moment donné de profondes divisions. Elle reflète une transformation profonde dans l'appréhension du Hezbollah des exigences du système politique libanais ainsi que l'importance qu'il donne à la stabilité interne pour tout projet national devant réussir dans ses dimensions panarabe et islamique. L'adhésion du Hezbollah au principe consensuel (...) considère que la règle majoritaire crée un rapport instable des forces et qu'elle est inadéquate à long terme pour protéger les intérêts de tous. Le mouvement cherche donc à investir sa force et ses capacités dans le sens de promouvoir l'équilibre plutôt que d'asseoir sa domination dans la structure libanaise."

Le document plaide contre le "consociativiste" Michael Young du quotidien beyrouthin Daily Star, lequel (7 août 2006) invoquait un "coup d'Etat par Nasrallah": "Il y a danger réel aujourd'hui que le Hezbollah hérite du Liban après la guerre. S'il le fait, une guerre civile immaîtrisable s'ensuivra probablement... Et elle signifiera la mort d'un pays qui, pour tous ses travers, avait néanmoins essayé une formule de coexistence pacifique entre ses communautés religieuses en 1990 lorsque cette autre guerre civile libanaise avait pris fin."

Le document plaide également contre cet autre alarmiste, Flynn Everett, ancien membre de la CIA, des Affaires étrangères et du Conseil de sécurité nationale, lequel ébauchait (14 juillet 2006) le scénario de la prise du pouvoir par le Hezbollah comme suit :

"Si le gouvernement libanais, y compris l'actuel gouvernement, devait hâter le dossier du désarmement au nom de l'application des Accords du Taëf qui terminèrent la guerre civile libanaise en 1989, disons, le Hezbollah a un atout qu'il peut jouer, lequel atout est la déconfessionalisation, lequel est 'Passons à un homme, un vote'. Cela favorise grandement les chiites. Cela favorise grandement le Hezbollah, en termes de standing politique. Et c'est là une chose que le reste de l'establishment politique libanais, y compris les leaders de la Révolution du Cèdre que nous avons vu jouer jusqu'au bout dans les rues de Beyrouth l'an dernier, ne veut pas approcher. Et c'est là l'atout ultime dont le Hezbollah est en possession pour parer à la pression exercée pour son désarmement."

Naturellement, ces allusions, allégations, et accusations de chantage se fondaient sur les chiffres de la démographie libanaise favorables (plus de 40% de la population) à la communauté chiite, en comparaison avec les chiffres défavorables (21% des sièges parlementaires seulement) de la représentation politique chiite dus à l'équilibre "artificiel" (50: 50) maintenu entre chrétiens et musulmans. Elles se fondaient également sur le discours de "déconfessionalisation" tenu traditionnellement par le Hezbollah. En effet, dans la mesure où il tenait un discours de politique intérieure (ce qui n'est pas toujours évident), le parti probablement souhaitait une "déconfessionalisation totale du système politique, y compris les plus hautes fonctions," pour reprendre l'expression (printemps 2005) de l'un de ses guides spirituels au Liban : le Grand Ayatollah Mohammed Hussein Fadlallah.

Autrefois le Hezbollah avait bel et bien remis en question le système multiconfessionnel, mais il ne le faisait plus au fur et à mesure de sa maturation politique. C'est-à-dire que plus il devenait politique et national plus il devenait consociativiste, un processus entamé au moment des élections de 1992. Liquidant en partie son passé militariste et puritain, le parti entrait alors dans le jeu de la participation politique à proprement parler. Le mouvement suivant eût lieu en rapport avec les élections de 2005 et l'engagement qui s'en suivit du parti dans le gouvernement.

En fait, jusqu'à très récemment, les propos favorables au système une-personne-un-vote étaient chose courante. Par exemple, lorsque Ghaleb Abou Zeinab, le membre du bureau politique en charge des relations du Hezbollah avec les communautés non chiites du Liban, informait (automne 2004) que le parti avait abandonné toute intention d'imposer le système aux chrétiens du Liban, il le faisait tout en doutant du caractère définitif de la consigne :

"Oui, les chrétiens ont peur de se retrouver ici avec le système une-personne-un-vote. C'est pourquoi nous ne l'avons pas encore, bien que Taef appelait explicitement à la terminaison du système 'confessionnel' de gouvernement. (...) si nous voulons parvenir à la pleine démocratie ici nous devons faire de telle sorte que chacun soit persuadé de ses bienfaits, et que personne n'ait peur de se voir renversé. D'ailleurs, nous considérons la coexistence que nous avons entre les différentes confessions ici comme un exemple, et nous ne voulons pas la renverser. Un système des 'majorités et minorités ' ici serait explosif. Donc nous nous accrocherons à l'équilibre confessionnel dont nous disposons à présent. Mais je ne sais pas ce qu'il en sera dans 20 ans."

Le processus de "consociativisation" du Hezbollah évolua dramatiquement depuis le retrait syrien du Liban en avril 2005. Une première préfiguration d'un future gouvernement d'union nationale libanais eût lieu au moment où les mouvements chiites Hezbollah et Amal rejoignaient le dit Quatuor d'entente, une entente électorale nouvelle à l'époque comprenant également et le Mouvement de l'avenir dirigé par le sunnite Saad Hariri et le Parti progressiste socialiste dirigé par le druze Walid Joumblatt. Le compromis du Quatuor, lequel amena la constitution de l'actuel gouvernement, se fondait sur la préservation de l'unité nationale, la reconstruction de l'Etat et la protection de la résistance, laissant au dit Dialogue national libanais interne les divergences dans les prises de position sur les armes de la résistance, les rapports syro-libanais et le sort de la présidence.

Une seconde et plus robuste anticipation d'un gouvernement d'union nationale eût lieu lorsque le Hezbollah, le mouvement le plus populaire de la communauté chiite, "s'allia" avec le Courant patriotique libre du général Michel Aoun, le mouvement le plus populaire de la communauté chrétienne. Dans un Mémorandum d'entente commun (6 février 2006), le CPL était d'accord pour que la résistance retienne ses armes jusqu'à la libération complète du territoire et des détenus libanais dans les prisons israéliennes, et le Hezbollah était d'accord sur l'échange d'ambassades avec la Syrie et le traçage des frontières. Le document était particulièrement sans équivoque sur le caractère non majoritaire du système politique libanais : "la démocratie consensuelle demeure le fondement de base pour le gouvernement au Liban, parce qu'elle est la concrétisation effective de l'esprit de la Constitution et de l'essence du pacte de coexistence commune."

Comme dans la pensée politique de Hannah Arendt et Edward Saïd sur la coexistence binationale israélo-palestinienne, le républicanisme du Hezbollah à présent est de type consociatif, non pas jacobin. Sa revendication d'un gouvernement d'union nationale est non seulement conforme au principe fondamental de toute consociation -- la grande coalition -- mais aussi fidèle au principe des équilibres confessionnels propre au Liban.

Le Hezbollah est loyal au système libanais malgré le fait que les électeurs chiites du parti sont les moins favorisés en ce sens, mais il n'épaule pas les effets pervers et peu patriotiques du système. En effet, les druzes (la plupart pro-occidentaux) qui sont seulement 5% de la population libanaise ont droit à 2 des 24 sièges dans le Cabinet, les sunnites (la plupart pro-occidentaux) qui sont moins de 25% de la population en ont 5 ainsi que le poste de premier ministre, entre-temps les chiites (la plupart nationalistes) qui sont plus de 40% n'ont que 5 et seulement le poste de président du parlement. De sorte que, si le Hezbollah et ses alliés chiites s'avisaient à abandonner le principe de l'équilibre en faveur davantage de proportionnalité, ils auraient presque certainement leur propre tiers de blocage dans le Cabinet.

Le Hezbollah est fidèle à la lettre de la constitution, mais aussi à son esprit fondateur; le système constitutionnel qu'il respecte n'est pas sensé récompenser le mauvais patriotisme, bien au contraire. à la rigueur, pour mériter son actuelle sur-représentation dans le système la "majorité" au pouvoir devrait prendre une part active dans la compétition patriotique. En tout cas, vu de cet angle-là le système ne devrait pas, comme c'est le cas à présent, récompenser les électeurs cosmopolitistes au dépens des Libanais patriotes. Plus particulièrement, il ne devrait pas récompenser les chrétiens ayant voté pour la Liste Rafik Hariri (l'Alliance du 14 mars) au dépens des chrétiens ayant voté pour l'Alliance Aoun. Et il ne devrait définitivement pas récompenser 25 à 30% des votes chrétiens par quelque 10 (du total de 24) sièges du Cabinet au dépens des autres 70 à 75% ayant bien reçu 21 des 128 sièges parlementaires mais pas le moindre poste ministériel.

En revendiquant un pouvoir de veto pour l'opposition le Hezbollah se montre fidèle à la lettre -- consociative -- de la constitution du Liban. Le Hezbollah exige simplement l'application de l'Article 65(5), lequel stipule qu'un vote aux deux tiers au Cabinet est nécessaire pour faire passer les décisions qui ne sont pas prises par consensus, et qu'un groupe formé du tiers plus un des ministres, agissant ensemble, peut bloquer n'importe quelle décision sur les "questions nationales fondamentales" auxquelles il est opposé. L'article implique aussi que la démission d'un tiers du Cabinet fait automatiquement tomber le gouvernement.

Le Hezbollah simplement insiste sur le droit légitime de l'opposition à une représentation exacte dans le Cabinet. C'est un fait que le Hezbollah, le CPL, et leurs alliés ont 56 des 128 sièges, ou 43 à 44%, dans la Chambre des Députés. Un gouvernement représentatif de la Chambre leur donnerait donc plus d'un tiers, ou 10 des 24, sièges au Cabinet, ce qui est plus que le total de 6 sièges qu'ils possèdent ou ayant possédé - mais cela va permettre à l'opposition de poser son veto contre les décisions clés, comme sur "les accords et traités internationaux," chose que la "majorité" évidemment n'apprécie pas spécialement.

Évidemment, Le Hezbollah et le mouvement Amal ne sont pas à la recherche davantage de sièges au Cabinet pour eux-mêmes, étant donné que le nombre de sièges chiites que permet la loi multiconfessionnelle libanaise est fixé à 5. La représentation qu'ils demandent concerne leur principal allié chrétien, le général Michel Aoun et son CPL.

De toute les façons, l'obstination de la part de la "majorité" a entraîné l'échec du dialogue sur l'opportunité du pouvoir de veto et du gouvernement d'union nationale. Elle a provoqué (11 novembre 2006) la démission de six ministres, dont les cinq ministres chiites. Elle a enfin remis en cause la légalité des réunions du Cabinet ; selon l'Article 95(3) de la Constitution notamment "les groupes confessionnels doivent être représentés de manière juste et équitable dans la formation du Cabinet." Comme l'ont déclaré le président Emile Lahoud et le chef du parlement Nabih Berri, le pouvoir du gouvernement Siniora ne pouvait plus s'exercer qu'en flagrante violation de la constitution.

En revendiquant un pouvoir de veto pour les forces patriotiques du pays, en le revendiquant pour la grande majorité des Libanais qui ont haï la collusion américaine avec l'agresseur israélien l'été dernier, le Hezbollah se montre fidèle à l'esprit -- républicain et anti-colonial -- de la constitution du Liban. En fait, le conflit interne en cours touche moins à la représentation confessionnelle et beaucoup plus au patriotisme et la sous-représentation des voix nationalistes.

Le Mémorandum d'entente a créé une nouvelle réalité politique et sociale au Liban, pays où chiites et chrétiens grosso modo soutiennent l'opposition ; sunnites et druzes le gouvernement. Il a remanié la division politique et en partie déplacé les lignes traditionnelles et sectaires vers les démarcations plus nationales et patriotiques. L'accord Nasrallah-Aoun semble avoir mis fin à l'ancien et terrible clivage musulmano-chrétien du Liban. Le Mémorandum réincarnait, pour ainsi dire, l'esprit rayonnant du Pacte National libanais de 1943; l'entente Solh-Khoury musulmano-chrétienne; le compromis passé entre pro-arabes et pro-occidentaux qui amena le retrait français du Liban -- mais aussi un modèle de démocratie que le rival israélien ne peut visiblement pas supporter.

Si, comme il semble à présent, les gens du Hezbollah ne s'avèrent pas être des tyrans de quelque sorte mais véritablement des démocrates consociatifs volontairement refrénés, il est au tour de leurs adversaires, la dite coalition du 14 mars, de prouver qu'elles ou qu'ils peuvent être bon patriotes -- qu'ils peuvent au moins se comporter à la manière loyale de la "rue libanaise" l'été dernier, résistant à chaque féroce et vaine tentative israélienne de provoquer la guerre civile.

Mais pour le prouver, particulièrement depuis le retrait syrien du Liban, il ne suffira plus d'opposer les deux axes, syro-iranien et israélo-américain, dans un rapport de symétrie simple; un rapport comme celui qu'on pouvait autrefois établir entre les prétendants syriens et français au Liban.

Il ne suffira plus de considérer l'investigation d'un crime particulier comme primant toute autre considération, y compris l'unité nationale, la sécurité nationale, et la reconstruction nationale; il ne suffira plus de donner la priorité à la chasse des meurtriers encore hypothétiques de l'ancien premier ministre, Rafik Hariri, sur la protection du Liban contre les destructeurs de son infrastructure et les assassins de plus de 1.000 civils libanais -- des assassins au-delà de tout doute bien fondé, mais puissamment protégés.

 

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About the Author

Mohammed Ben Jelloun est un sociologue et politologue. Ses récents articles dans Swans sont : What's Consociational Patriotism? From Lebanon to Iraq, (Swans, April 25, 2005), and Wilsonian or Straussian: Post-Cold War Idealism? (Swans, August 2, 2004). Sa page Web est au http://hem.bredband.net/b287842/.

 

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Published January 29, 2007



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