Swans Commentary » swans.com 30 novembre 2009  

 


 

 

Swans en français

 

Liberté de la Presse, la nécessaire piqûre de rappel
 

 

Marie Rennard

 

 

 

 

(Swans - 30 novembre 2009)   Dans la surabondance d'informations qui nous sont tous les jours livrées par les journaux, il en est une qui plus encore que les autres doit mobiliser notre attention. Le rapport annuel de Reporters sans Frontières 2009 signale un recul significatif en France de la liberté de la Presse. Nous figurons désormais en 47ème position, entre le Surinam et le Cap Vert, et sommes en tête du classement européen pour le nombre de perquisitions et mises en examens de journalistes.

Or, il est essentiel pour la vigueur et la santé d'une démocratie que le contre pouvoir des media puisse s'exercer sans restriction. La simple séparation des pouvoirs, sans liberté d'expression, ne suffit pas à garantir le libre arbitre du citoyen. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on a rebaptisé quatrième pouvoir l'ensemble des outils d'information, et plus récemment, cinquième pouvoir l'opinion publique, considérablement renforcée au cours des dernières décennies par la propagation de l'Internet.

Une série d'articles de presse, au moment de la campagne présidentielle de 2007, avait fait état d'un dysfonctionnement dû à la collusion profonde du candidat Sarkozy avec nombre de grands patrons de presse ou de radio (et capitaines d'industrie) qui faisaient partie du cercle de ses intimes. On découvrait dans Le Monde Diplomatique la subordination d'un certain nombre de media, et pas des moindres, aux amis de notre omniprésident. Bouygues (1), Dassault (2), Lagardère (3), Bolloré (4), tous patrons de presse et de grandes industries, marchent aux côtés de Nicolas Sarkozy depuis que dans les années 80, tout jeune maire de Neuilly, il les avait rassemblés au sein de son association « Neuilly Communication ».

Mais Nicolas Sarkozy, familier des media et virtuose de la communication télévisée, baptisé par les auteurs d'un reportage de la TV Suisse Romande (5) Le Vampire des media, n'était pas homme à se satisfaire de mesures incomplètes. Depuis début 2008, il est personnellement chargé de la nomination des Présidents des chaînes de radio et de télévision publique, avec bien sûr toute latitude d'installer à ces postes clés des gens capables d'œuvrer dans le plus strict respect de ses désirs. Sa première mesure sera de ne pas renouveler - malgré d'excellents résultats, le mandat de Jean-Paul Cluzel à la tête de Radio France. La raison ? L'impertinence et l'irrévérence de ton des chroniques matinales de Stéphane Guillon qui déplaisent à l'Elysée.

Il ne s'agit pas là du premier coup de gueule de ce Président qui déclare aux stars de cinéma vous et moi faisons le même métier. Nicolas Sarkozy sert aux français une comédie dont il entend être le seul scénariste. Quand le journal suisse Le Matin rend public, pendant la campagne présidentielle, le départ de sa femme Cécilia, il va déposer plainte au tribunal de Thonon les Bains, dont les juges vont pourtant considérer que le candidat Sarkozy, orchestrant sa campagne sur l'image publique de son couple, ne peut se réclamer dans ce cas-là du droit à la confidentialité. D'autant plus que sa femme et son amant s'affichent sans réserve aux terrasses de bistro du Tout Paris.

Il faut noter, pourtant, la stupéfaction de Peter Rothenbüler, alors rédacteur en chef du quotidien suisse, quand il se rend compte que son journal est le seul à avoir publié l'info. Au point qu'il se demande si son informateur ne s'est pas amusé à ses dépens, et il mentionne, dans le reportage sus-cité, le fait que les services de police français ont cherché à connaître l'identité de cet informateur, en essayant même de faire porter le chapeau (déjà) à Dominique Galouzeau de Villepin, et créant alors l'expression de blanchiment d'information. Dans la presse française, le silence le plus strict est observé sur ce sujet délicat. Il faudra attendre qu'Alain Genestar, de Paris Match, publie les photos de l'épouse adultère dans son journal (il sait de source sûre qu'elles vont paraître dans l'édition dominicale du Times) pour qu'un journal français mentionne enfin la rupture. Alain Genestar y perdra son poste, et dira à ce moment là que Dans un grand pays libre et démocratique comme le nôtre, il n'est pas concevable qu'un ministre de l'Intérieur puisse être à l'origine du limogeage d'un journaliste.

L'attitude du Téléprésident français (il occupe, depuis son élection, les écrans de télévision trois fois plus que ses prédécesseurs) envers les journalistes ne leur facilite certainement pas la tâche, et la critique, voire le simple questionnement sur des sujets qui fâchent relèvent désormais de la haute voltige. On ne compte plus le nombre des journalistes insultés (6) ni les cacas nerveux du président sur les plateaux TV qui, en dépit de l'instauration d'un service de nettoyeurs du web continuent à fleurir sainement sur le web.

Outre les pressions dont sont victimes les rédactions de journaux, les journalistes eux-mêmes évoquent une nécessaire autocensure. Les patrons des services publics étant directement nommés par le chef de l'Etat, ils lui sont, naturellement, redevables de leur poste, et ne permettent pas à leur subordonnés, tout journalistes qu'ils soient, de les mettre en danger d'éjection par voie d'irrévérence ou de curiosité insistante. Jean-Michel Thénard, du Canard Enchaîné, emploie même le terme de « Presse de révérence », et souligne le fait que l'agressivité du président dissuade la solidarité entre journalistes. Quand Nicolas Sarkozy refuse lors d'une conférence de presse de répondre à une question, nul soutien entre membres de cette corporation ne se manifeste tant est grande la crainte de faire les frais de la solidarité.

Même dans les cas d'extrême contestation de la part des journalistes et des électeurs, Nicolas Sarkozy et son clan gardent la maîtrise de la communication. On l'a vu avec le tollé provoqué par la candidature de son fils Jean à la tête de l'Epad, les journaux de ses affidés sont là pour le servir. Les français se rebellent-ils, et crient-ils assez fort pour se faire entendre : Jean Sarkozy, faisant preuve de maturité, renonce, sur les plateaux de télévision, devant des présentateurs de journaux pour le moins complaisants, à la présidence de l'Epad. Qu'importe d'ailleurs, s'il n'a pas la place de Devedjian à l'Epad, il le supplantera bientôt à la tête du conseil général des Hauts de Seine (7), où il pourra servir son père presque aussi efficacement qu'à la Défense en faisant taire les fâcheux qui, au sein même de la majorité UMP, s'étonnent des ristournes ahurissantes faites aujourd'hui aux promoteurs sur les contrats signés en 2007, ou du fait que le bilan de l'Epad ne soit pas certifié par un commissaire à la Cour des Comptes.

Heureusement, quelques journaux gaulois résistent encore et toujours à l'envahisseur. Sur des supports divers, Le Canard Enchaîné, Rue 89 ou, dans un registre plus léger et moqueur Les Guignols de Canal + (8) continuent à faire leur travail dans le respect d'une stricte déontologie de l'information, avec, pour notre plus grand bonheur, ce qu'il y faut d'une irrévérence justifiée par les écarts de langage que se permet le Chef de l'Etat. Encore faut-il que les français - aussi feignants qu'ils sont contestataires, se donnent la peine de lire l'actualité là où on la leur livre sans fard à joue, c'est-à-dire ailleurs qu'aux journaux de 20 Heures, en dépit de l'injonction faite par Sarkozy aux membres de l'UMP de taper sur la gueule des journalistes qui n'ont qu'une idée en tête, faire trébucher le Président de la République.

 

 

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Notes

1.  Propriétaire de TF1 et LCI (entre autres)  (back)

2.  Propriétaire du Figaro, qui expliquait dans un article du Monde daté du 13/12/2004 que les journaux doivent diffuser des idées saines, car nous sommes en train de crever à cause des idées de gauche.  (back)

3.  Propriétaire de Europe 1, Europe 2, Paris Match...  (back)

4.  Propriétaire de Direct Soir, Matin Plus etc. Pour l'anecdote, celui-ci était intervenu en mai 2007 pour empêcher la parution dans Matin Plus d'un article critiquant la police française, qui sous la pression des journalistes avait fini par paraître le mois suivant.  (back)

5.  Diffusé le 4 juin 2009.  (back)

6.  Patrice Machuret, journaliste politique à France 3 raconte qu'il s'est vu traiter de crétin et de honte de la profession pour avoir rapporté dans son livre « L'enfant terrible » que Nicolas Sarkozy consultait plusieurs fois par semaine un gourou censé lui insuffler des ondes positives.  (back)

7.  Source Canard Enchaîné 28/10/2009  (back)

8.  Mais pour combien de temps ? Le Canard Enchaîné a révélé dans son dernier numéro (4/11/209) que Nicolas Sarkozy, trépignant de rage, a juré d'avoir la tête de Rodolphe Belmer, directeur de Canal +, pour les outrances diffusées, et dont les enregistrements ont été supprimés sur les sites comme You Tube ou Daily Motion par la police du web de la Présidence.  (back)

 

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Marie Rennard sur Swans. Marie est l'éditrice en chef du coin français.

 

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Published November 30, 2009



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