(Swans - 22 mars 2010) Des auteurs antiques, Pline semble être le premier à avoir fait mention des vertus thérapeutiques de l'escargot. Utilisé pour guérir les écrouelles, les furoncles, soulager la toux, la goutte, les maux d'estomac ou les rages de dents, on le prescrivait aussi - écrivait-il, pour guérir la folie.
C'est bien plus tard que Voltaire, dans l'article « serpent » de son encyclopédie philosophique, évoquerait lui aussi l'escargot - et plus précisément le colimaçon, non pas pour nous faire part de ses propriétés curatives, mais pour attester « que la tête est revenue à des limaçons à qui je l'avais très bien coupée ». « Mais », ajoutait-il, « ce n'est pas assez que j'en aie fait l'expérience, il faut que d'autres la fassent encore pour que la chose acquière quelque degré de probabilité ».
Nul doute qu'il se soit trouvé, au cours des siècles, nombre de bambins, qui sans l'excuse d'une étude statistique, se soient amusés (l'enfance est cruelle) à poursuivre l'expérience de Voltaire, lequel invitait également les curieux à cracher sur les serpents pour vérifier l'affirmation de Lucrèce selon laquelle la salive leur serait fatale - en proposant Fréron (1) comme premier sujet de l'expérience.
C'est au tout début du XIXème siècle qu'il se trouva enfin un homme pour suivre les traces de Voltaire et se livrer scientifiquement à la cochliopérie - l'étude des escargots. George Tarenne, (2) en 1807, se décida à mener ses propres expériences et observations, et, en étêtant mille escargots - à conclure que « Quelle que puisse être la durée de la vie d'un escargot décapité et mis dans une caisse vide, il est facile de se convaincre que la tête de ce reptile ne se reproduit jamais ». (3)
Buffon lui-même n'eut pas dit mieux.
« Je supplie mes lecteurs, écrit-il, de ne pas s'imaginer que j'aie fait cet affreux carnage sans éprouver un sentiment pénible. La compassion a ému mon cœur. Mais j'ai cru que ces sacrifices seraient agréables à la raison et plus utiles encore à l'humanité. On jugera par cet ouvrage si je me suis fait illusion ».
Tarenne procède avec les méthodes approximatives mais déjà rigoureusement protocolaires de son siècle, et c'est un avantage certain qu'il a sur son illustre prédécesseur.
« Pour couper habilement la tête à un escargot », écrit-il, « on le tient de la main gauche par la coquille, on pose un des taillans d'une paire de grands ciseaux sous sa gorge et on lui laisse le temps de revenir de ce premier attouchement. Lorsqu'il allonge bien le cou, lorsque ses cornes paraissent pleines de la liqueur noirâtre qui semble être le principe le plus actif de son sentiment, on rapproche peu à peu les ciseaux jusqu'à ce que la branche supérieure soit presque sur le cou du reptile derrière les grandes cornes Alors serrant vivement les doigts on lui abat la tête entière avec autant de célérité qu'on en pourrait mettre à prononcer la lettre A ».
Toute cette application à la tâche ne sera pas inutile. Tarenne va observer que le suc d'escargot se fixe particulièrement bien aux textiles, et tirer de sa « force astringente » un remède contre les hernies.
« Le hernieux se fera confectionner un bandage de type classique, mais dont la pomme doit être concave de façon à pouvoir recevoir un godet du diamètre de la hernie, de préférence en faïence, en porcelaine ou en verre, plutôt qu'en fer blanc ou en bois. Ce godet sera rempli de laine, de préférence, de coton ou d'étoupe, puis on y introduira le "suc" d'un ou deux escargots, recueilli en blessant ces mollusques en divers sens avec une cheville de bois dur en forme de poinçon, ce qui déterminera l'écoulement d'une liqueur qui est "le sang du colimaçon", seul à avoir la propriété annoncée ».
Aux propriétés de l'escargot connues depuis l'antiquité, à celles listées par Tarenne, les chercheurs modernes en ont ajouté d'autres : de certaines espèces venimeuses on tire un analgésique puissant, du banal escargot de bourgogne, un fabuleux antirides, et on a récemment extrait de ces gastéropodes testacés une molécule utilisée comme indicateur de pronostics pour certains cancers, démontrant ainsi que Voltaire, encore une fois, aura prouvé qu'il n'y a pas de sottes questions.
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Notes
1. Critique littéraire. On connaît l'animosité de Voltaire à l'endroit de Fréron, qui avait écrit de lui qu'il était « sublime dans quelques-uns de ses écrits, et rampant dans toutes ses actions ». Voltaire riposta par son fameux quatrain,
« L'autre jour au fond d'un vallon
Un serpent piqua Jean Fréron
Que croyez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva ». (back)
2. Egalement auteur d'un ouvrage consacré au Ranz des vaches, chant populaire des fermiers suisses, dédié à « l'homme qui ne dédaigne pas les choses agrestes, qui aime la vie champêtre et qu'un génie favorable porte à la vie rustique ». (back)
3. Recueil d'expériences très-curieuses sur les hélices terrestres, vulgairement nommés escargots. 1808. (back)