(Swans - 29 novembre 2010) La littérature britannique a toujours offert au monde des auteurs et des œuvres de choix. Sur les étagères de nos enfants trônent Kipling, Stevenson, Swift, Dickens, Carroll, les Sœurs Brontë et désormais Rowling. Leur imagination, autant que leur sens du réel, ont largement contribué à construire les lecteurs que nous sommes devenus.
Les œuvres de Wilde, Conan Doyle, ou Coleridge, le 1984 d'Orwell ou l'inégalable Tristam Shandy de Sterne, autant que les univers nébuleux des auteurs latino américains, sont le fruit d'une manière d'écrire et de penser aussi identifiables que les littératures Russes ou Françaises.
Leur originalité, leur talent, viendraient-il de leur insularité ? Nul doute qu'elle ait joué son rôle, toujours perceptible en toile de fond. Une langue, dit-on, est le reflet d'une culture, d'une construction intellectuelle propre à un peuple - et toujours reconnaissable, même distordue, à travers la traduction.
Parmi les auteurs contemporains, David Lodge (mon préféré), Ken Follett, Terry Pratchet et bien sûr Doris Lessing se sont taillé la part du lion dans les librairies françaises. Il en est pourtant bien d'autres, moins connus du public français, mais qui pourtant méritent toute son attention. Richard Beard est de ceux-là.
Auteur de talent, rugbyman émérite, et depuis quelques années directeur de la National Academy of Writing, il a publié quatre romans unanimement salués par la critique d'outre manche, ainsi que trois récits dont deux sont consacrés au sport (plus particulièrement au rugby) et le troisième au portrait d'un de ses amis transsexuel, qui a lui aussi connu un succès notable.
Après la publication, en 2008, de la traduction française de Muddied Oafs, Le rugbyman nomade (Ed. EMC), Richard Beard poursuit son aventure francophone avec Le porteur d'os (Ed. In Octavo), roman à la fois profond et loufoque qui met en scène un diacre de l'église anglicane devenu pilleur de tombes pour le compte d'un antiquaire genevois.
James Mason, le héros, est comme nombre d'entre nous un peu perdu, en quête d'un sens à sa vie, d'une identité propre, hésitant entre le besoin d'extraordinaire et l'aveu de son insignifiance. Détaché à Genève par sa hiérarchie pour aider à la vente d'une église qui coûte trop cher à entretenir, il se retrouve bientôt sans ressources et à la merci de Joseph Moholy, antiquaire fortuné engagé dans une étrange quête, qui lui propose d'aller déterrer les os de personnages célèbres qu'il vend... sous une forme pour le moins incongrue. Le pouvoir des reliques, nous dit-il, leur influence sur la personnalité de celui qui les porte reste intact quelle que soit la taille de la relique. Dans tous les cas, on se verra soumis à leur empire. Las, pour son malheur, James est plus sensible que d'autres à l'emprise des reliques, et va devoir gérer sa vie personnelle sous influence. Tour à tour décidé à sauver l'Eglise anglicane sous l'égide de Saint Thomas à Becket, désireux de reconquérir sa fiancée sous celle de Burton, psychanalysé par la rotule de Jung, empêtré dans les pitreries de Chaplin, coincé dans la peau de Calvin, James cherche à savoir qui il est, et où il va, si tant est qu'il aille quelque part.
Moholy, lui, sait ce qu'il cherche. Une quête à la fois folle et digne qu'on s'y arrête, mais dont nous ne révèlerons rien ici pour ne pas amoindrir le plaisir du lecteur.
Nous avons interrogé Richard Beard, fan de Perec, sur les circonstances de la naissance de ce roman.
L'idée d'exploiter le thème des reliques, dit-il, lui est venue lors d'une flânerie dans le Cimetière des Rois de Genève, équivalent bien modeste en surface de notre Père Lachaise, mais où un tiers au moins des défunts portent des noms célèbres. Bien sûr, les cimetières suisses regorgent de noms fameux. Ne restait plus qu'à exploiter ces noms, leur vie et leur œuvre, et à les mettre en scène autour du thème de la recherche de la personnalité.
Le travail du romancier, selon Beard, est d'exploiter le vrai en le mettant au service de l'imagination sans plus faire de différence entre les deux. L'abondance de défunts célèbres dans les cimetières suisses l'a guidé sur le thème bien connu des ethnologues de l'influence des morts, de la construction de la personnalité de chacun suivant l'exemple de ses héros personnels. Le reste n'était plus qu'un travail d'élaboration de l'histoire.
Mais devient-on romancier, lui avons-nous demandé, ou bien, comme le disait Sagan, l'est-on à la naissance ?
« L'idée qu'on soit inéluctablement voué à un particulier devenir a quelque chose d'effrayant, comme les thèses déterministes de Calvin, autre héros du livre. Françoise Sagan et Jean Calvin ? Quel couple étonnant. Je suis convaincu qu'on peut apprendre à devenir écrivain. A se servir des outils appropriés : compas, odomètre, bathyscope... Mais trêve de métaphores, on peut apprendre à écrire comme on peut apprendre à inventer, sans aucun doute ».
L'un des obstacles majeurs du roman anglais cependant, vient souvent de la spécificité de la civilisation anglaise - si différente des autres peuplades européennes - que l'auteur mentionne, dans le roman, le fait que l'Angleterre est toujours beaucoup plus loin qu'on ne le pense, compliquant considérablement le travail des traducteurs par la nécessité de mettre à la portée du lecteur ces spécificités. Dans le porteur d'os, notamment, les particularités de l'Eglise anglicane, souvent perçue à tort en France comme l'une des nombreuses variantes du protestantisme, se sont souvent révélées difficiles à intégrer au texte sans ajouts - quelque mineurs qu'ils soient. Nous avons interrogé l'auteur sur ce dernier point.
L'Angleterre, est, selon lui, perpétuellement en proie à une crise d'identité, et si sa constante européenne est la moins accessible aux européens, c'est justement parce qu'elle est organisée autour de l'identité nationale, elle-même empêtrée dans ses relations avec le Royaume Uni, le Commonwealth, l'idée toujours vivace de l'empire, de son histoire, et la désastreuse image qu'en offrent les supporters de football. Une Europe unie, conclut-il, implique la volonté des nations de réduire leur sens du nationalisme en épousant un nationalisme plus large, européen.
Qu'attendons-nous, alors, pour ingurgiter quelques comprimés d'os pilés de De Gaulle, Churchill, Otton premier, Garibaldi et Charles Quint ?
Faudra-t-il, au prochain G8, distribuer à chaque chef d'état un exemplaire du Porteur d'os afin que leur vienne l'idée de fournir à leurs ressortissants ce mélange détonnant ? Ce ne serait pas la première fois, après tout, que le salut commun viendrait d'un Grand Breton...
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