Swans Commentary » swans.com 7 mai 2012  

 


 

 

Swans en français

 

Caca
 

 

Marie Rennard

 

 

 

 

(Swans - 7 mai 2012)   Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, avait jugé bon de consacrer un article entier aux « Ventres Paresseux » un autre au « cul » et pour faire bonne mesure un dernier aux « déjections ».

Gageons que le lecteur d'aujourd'hui ne se réjouira pas moins que celui du dix-huitième siècle de voir témoigner à ce sujet l'attention qu'il mérite, en commençant par l'examen de son étymologie.

Le mot vient du latin cacare, faire caca, et possède nombre de synonymes : merde, crotte, excrément, bren, fiente, cague... et puisque nous évoquons le latin, mentionnons anecdotiquement la sœur de Cacus, personnification des forces souterraines, qui porta le nom de Caca, détail révélé par Virgile, qui sans doute réjouira les plus jeunes, sensibles à aux joies de la scatologie, et qui pouffent encore, à l'adolescence, en lisant sous la plume d'un Sénèque relatant l'apocoloquintose du divin Claude « concacaui me »... J'ai fait caca sous moi !

Il n'est pas surprenant que nos rejetons, qui viennent au monde entre la matière fécale et l'urine (1) découvrent par leurs voies les plus naturelles les mystères de la biologie. Tous connaissent très tôt l'existence d'espèces coprophages, qu'ils rebaptisent allègrement cacavores, et se passionnent -- au moins un temps -- pour la merde et les jeux qui en sont dérivés. Chaque génération en a exploré les plaisirs. Courser son voisin en le menaçant d'un bâton à l'extrémité enduite d'excréments frais, recouvrir d'aiguilles de pin sèches une longue rangée d'étrons simulant à merveille la poussée de champignons du jour que les amateurs viendront gratter d'une main délicate, ou pour les toutes dernières générations, plus adeptes de bouse virtuelle que de grand air, la machine à caca, (2) disponible en un clic, sans odorama, hélas.

Mais laissons-là les bambins, et revenons à Voltaire, qui met en garde le solliciteur : « Quand vous avez le matin une grâce à demander à un ministre ou à un premier commis de ministre, informez-vous adroitement s'il a le ventre libre. Il faut toujours le prendre mollia fandi tempora ». (3) Littéralement quand il a la tripe molle. Notre grand philosophe, comme les médecins de tout temps, sait quelles répercussions peut avoir sur le caractère un transit mal assuré, et nous donne en exemple le Grand Cardinal de Richelieu, que selon lui Anne d'Autriche n'appelait jamais autrement que Cul pourri, et qui sous l'effet de la constipation envoya en prison Bassompierre, auquel sans doute, moins tourmenté par ses hémorroïdes, il eut pardonné son union secrète avec la fille d'Henri de Guise.

Voltaire, comme souvent, a raison. De notre transit dépend notre humeur, et l'on sait depuis Hippocrate toute l'importance de la circulation des fluides (humeurs) dans le corps. Or si l'on peut venir aisément à bout d'une constipation passagère, la diarrhée, attribuée par les anciens à une colliquation putréfactive peut avoir des conséquences bien plus graves sur l'organisme -- et les médecins ont de tout temps cherché à remédier efficacement au flux de ventre. Les épidémies de dysenterie ont fait, et continuent de faire des ravages sur les populations. Ne publie-t-on pas, de façon régulière, des données statistiques en temps réel sur les épidémies de gastro-entérites, maladie bénigne mais qu'on redoute encore pour les nourrissons et les vieillards. On en guérit, le plus souvent, par quelques jours de diète riz-carotte-banane. Mais ces aliments n'ont été introduits en Europe qu'assez tard. Si la carotte commence à se répandre en Europe dès le 16ème siècle, on ne cultive le riz en France, par exemple, que depuis la seconde moitié du vingtième siècle, et la banane ne se trouvera en abondance sur nos tables qu'encore plus tard, vers le début des années 70 -- lorsqu'on aura mis au point des modes de transport réfrigérants permettant une importation massive en provenance des républiques bananières de la United Fruit. Les médecins de l'antiquité, ceux du moyen-âge ou de la renaissance doivent trouver ailleurs un moyen de soigner leurs patients atteints de diarrhée. Les remèdes les plus sensés côtoient, comme souvent, les plus étranges pour tarir au plus tôt le flux, une nécessité qu'Ambroise Paré seul ne semble pas considérer comme urgente. « Il ne faut pas » écrit-il dans ses œuvres, « toujours arrêter le cours du flux de ventre, car ce serait bien souvent enfermer le loup dans la bergerie ».

On utilise, le plus souvent, des infusions, cataplasmes ou décoctions de plantes astringentes. Sirop de rhubarbe, infusion de scolopendre, de myrtille ou d'argentine (dont on peut aussi garnir ses chaussures avec un même résultat) miel rosat, confiture de coing sont d'emploi courant. Plus rarement, et aux malades fortunés seulement, on proposera du sang de dragon (à raison d'un scrupule ou un gros par prise). Il s'agit, en fait, de la sève d'un arbre importée de Madagascar, et non pas, comme le prétendaient les anciens qui « en relevoient le prix par l'origine fabuleufe qu'ils lui donnoient, en le faisaient paffer pour du véritable fang de ces dragon qu'ils fuppofoient mourir au milieu de la victoire qu'ils remportaient fur des éléphants, qui, en expirant de leurs bleffures empoifonnées, les faisoient mourir dans leur chute ». (4)

Si ces remèdes restent sans effet, on pourra si l'on est téméraire essayer le lavement de son, ou plus simplement, comme le recommande en 1753 Nicolas Alexandre dans « La médecine et la chirurgie des pauvres », l'application d'une brique chaude.

Voilà un moyen qui ne coûte pas trop cher, et qui est somme toute moins risqué que l'absorption d'un verre d'antimoine, également recommandé pour guérir la dysenterie. Cette substance, qui tire son nom du grec anti-monos (puisqu'elle est toujours associée à du plomb, du cuivre ou de l'argent), et connue déjà des égyptiens, a longtemps été employée en médecine. On la trouve mentionnée dans presque tous les manuels. Ambroise Paré lui-même l'emploie. Mais c'est Basile Valentin qui va lui donner au début du 16ème siècle une nouvelle notoriété. Ce sympathique alchimiste, « ayant vu des porcs acquérir un embonpoint extraordinaire pour avoir mangé le résidu d'une de ses opérations sur l'antimoine, crut que ce métal pourrait rétablir la santé des moines de son monastère, exténués par les jeûnes et les mortifications ». (5) L'administration de ce nouveau remède fut fatale à ces bons religieux, qui périrent en grand nombre. Qu'importe, la mode était lancée, et Louis XIV finirait même par autoriser officiellement son emploi en matière médicale en 1658, après avoir été guéri grâce à cette substance d'un empoisonnement qui le menaçait d'une issue fatale. Il est aujourd'hui notoire que l'antimoine est hautement toxique, et ce produit n'est plus utilisé que dans l'industrie, où il fait merveille dans les alliages de soudure ou le renforcement de la dureté des métaux.

Avant de clore ce chapitre sur les remèdes à la diarrhée, laissons toutefois parler les auteurs de L'école de Salerne, qui en 1861 livraient, en vers, leurs recommandations d'hygiène et de curation à des patients poètes :

Enlève au chêne vert son liber astringent
Fais chauffer à grande eau cette écorce bouillie
Dans un bassin cette eau tiède encor recueillie
Jusqu'aux reins le malade ira tout s'y plonger
Si le mal renaissant rappelle le danger
Aisément chaque fois le bain se renouvelle
La vertu de cette eau réprime un flux rebelle
Surtout quand le malade aspire en même temps
Les molles vapeurs d'ambre et de myrrhe et d'encens.

On conclura sans doute de la lecture de cet article que le caca est matière bien terrestre. On aura tort pourtant, car la matière fécale aura fait réfléchir et écrire bien des hommes préoccupés uniquement de spiritualité. Le pape Innocent III, (6) par exemple, s'est longuement interrogé dans son Quatrième Livre des Mystères, au sujet de l'action de l'hostie sur la nature mystique du caca des communiants. En d'autres termes : le caca du lundi matin serait-il consacré par l'absorption dominicale du corps du christ ? Les spéculations restent ouvertes...

 

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L'auteur

Marie Rennard sur Swans. Marie est l'éditrice en chef du coin français.   (back)

 

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Notes

1.  Voltaire, Dictionnaire Philosophique, Article Déjection.  (back)

2.  http://www.poopeegames.com/thepoopmachine/fr/intro.htm  (back)

3.  Voltaire, Dictionnaire Philosophique, Article Ventres Paresseux.  (back)

4.  Dictionnaire Universel de Commerce, Jacques Savary, 1758.  (back)

5.  Chimie élémentaire appliquée aux arts industriels, Girardin, 1873.  (back)

6.  Elu en 1198.  (back)

 

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Swans -- ISSN: 1554-4915
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Published May 7, 2012



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