Marie Rennard
(Swans - 21 septembre 2009)
Adultère : feminum est.
Qui osera démentir la singulière évidence ?
L'adultère est féminin. Cédons humblement la parole à Yvan Rheault, prédicateur occasionnel et webmaster de l'église Baptiste évangélique de St Hyacinthe au Québec, qui se consacre, via le web, à l'éradication du Mal par la chanson, (1) et fredonnons même avec lui, sur l'air du Gorille, ce texte de son crû :
« Lucie Ferland te ment, te tente
Lucifer, lentement, t'attend
Son tableau de chasse est plein
De naïfs qu'elle a séduit
Sur sa liste, t'es le prochain
A tomber à son service
C'est le temps que tu t'enfuisses »
N'y a-t-il rien qui vous fasse frémir ? - hormis le style s'entend.
Qui est cette Lucie Ferland ? L'une de ces mémorables salopes succubes qui aurait autrefois sévi aux confins du Québec ? Nenni, c'est vous (2) c'est moi. (3) Nous toutes les gonzesses, fatalement tentatrices puisqu'on met point d'fichu, et qu'on ne pense rien qu'à faire choir dans nos rêts des benêts (4) acadiens.
C'est sur la base de ce principe que les hommes de loi et les hommes d'église, ceux qui portent jupon, ont établi les châtiments qu'on applique aux femmes adultères.
« L'évangile », (5) écrivait la Comtesse d'Arcira dans la plaidoirie qu'elle présenta jadis à ses juges, «a défendu l'adultère à mon mari tout comme à moi ; il sera damné comme moi, rien n'est plus avéré. Lorsqu'il m'a fait vingt infidélités, qu'il a donné mon collier à une de mes rivales, et mes boucles d'oreilles à une autre, je n'ai point demandé aux juges qu'on le fît raser, qu'on l'enfermât chez des moines, qu'on me donnât son bien. Et moi, pour l'avoir imité une seule fois, pour avoir fait avec le plus beau jeune homme de Lisbonne ce qu'il fait tous les jours avec les plus sottes guenons de la ville et de la cour, il faut que je réponde sur la sellette devant des licenciés, dont chacun serait à mes pieds si nous étions dans mon cabinet ; il faut que l'huissier me coupe à l'audience mes cheveux, qui sont les plus beaux du monde ; qu'on m'enferme chez les religieuses qui n'ont pas le sens commun, qu'on me prive de ma dot...Je demande si la chose est juste, s'il n'est pas évident que ce sont les cocus qui ont fait les lois »
Acquiesçons à son évidence, et même illustrons là.
De tous temps, les femmes se sont battues pour qu'on leur reconnaisse l'adultère partagé, lasses d'affronter seules les joies primesautières de la lapidation. Dans les pays soumis à la loi islamiste, le code pénal prévoit encore, de nos jours, qu'un homme surprenant son épouse ou sa soeur en flagrant délit d'adultère et venant à la tuer, elle ou son complice, bénéficiera d'une excuse absolutoire, et le témoignage d'une femme vaut moitié de celui d'un homme. N'allons pas - inconsidérément - conclure que l'obscurantisme règne partout et encore en territoire mauresque. Les autorités afghanes elles mêmes, peu susceptibles de laisser-aller en matière de morale, ont récemment adouci l'horreur de la lapidation en réduisant, par décret, la taille des cailloux utilisés pour l'application de la peine. Que le temps fasse son œuvre et bientôt, l'on sablera, là-bas, en un châtiment symbolique, les femmes confondues. (6)
Chez nous, heureusement, l'adultère n'est plus depuis longtemps passible de la confiscation ni de réclusion dans un couvent. Depuis 1975, il n'est même plus sanctionné du tout. A cette époque reculée, le code pénal déclarait délictueux l'adultère féminin, alors que le même acte n'était passible pour l'époux que d'une amende, (7) à condition qu'il ait été commis au domicile conjugal, de façon répétée, et dûment constaté par un acte d'huissier. De même, le meurtre commis par l'époux sur son épouse adultère prise la main dans le sac bénéficiait également de « l'excuse absolutoire » toujours en vigueur chez les barbaresques, alors que la seule castration - gênante pour qui en est victime, mais moins que le meurtre, n'assurait l'indulgence des juges que dans les cas de viols.
Pourquoi, dans ce cas, vous bassiné-je encore avec des revendications ineptes au sujet de prétendues inégalités de traitement ?
Mais la condamnation morale, l'opprobre du voisinage, le sourire cauteleux de l'hôtelier, ne sont ils pas aussi difficiles à vivre, pour l'immense cohorte des Lucie Ferland, que la lapidation ?
Notes
1. Les Evangélistes, malgré leur criante inaptitude à la musique, donnent dans la guitare avec obstination. (back)
2. Je cause aux filles là. (back)
3. Et je déteste qu'on m'appelle Lucie, sauf si je m'appelais Lucie, ce qui n'est pas le cas. (back)
4. Justement. Le dictionnaire des locutions vicieuses du Français du Canada signale le mot comme dérivé de beignet utilisé là-bas dans le sens de « simple d'esprit ». (back)
5. Dictionnaire philosophique de Monsieur Voltaire. C'est une œuvre qu'on n'étudie pas à l'école. On a tort, c'est la meilleure. On y apprend, entre autres, à l'article « Flux de ventre » qu'il convient... et puis, finalement, allez le lire vous-même. Gallica, le site de la BNF. Merci Monsieur Mitterrand. C'est vrai quoi... (back)
6. La loi islamique, d'ailleurs, prévoit la même peine de lapidation pour les femmes et les hommes adultères, en théorie. (back)
7. Oui, mais payée à qui ? (back)
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