Swans Commentary » swans.com 19 octobre 2009  

 


 

 

Swans en français

 

Transports
 

 

Marie Rennard

 

 

 

 

 

 

(Swans - 19 octobre 2009)   Transport : Un détour liminaire au TLF nous ferait découvrir la longue liste des transports divers : de bétail, de passager, au cerveau, de fonds, amoureux, de douleur, de colère, d'enthousiasme, en commun.... Aussi cet articulet, loin de prétendre à l'exhaustivité, proposera-t-il simplement au lecteur une promenade à travers le temps dans les rues de Paris.

Les premiers carrosses virent le jour en France aux alentours de 1400. Selon le Dictionnaire des inventions (1), on ne comptait, sous le règne de François 1er, que trois de ces engins à Paris. L'un appartenait à la reine, le second à la belle Diane de Poitiers (d'autres sources parlent de Diane de France) (2), et le troisième à René de Laval, « que sa grosseur monstrueuse empêchait de marcher et de monter à cheval ». Leur usage s'en répandit cependant si vite que dès 1563 le parlement demanda au roi Charles IX de les interdire en ville, tant ils embouteillaient les rues et provoquaient d'accidents. Le roi repoussa la requête, et aux alentours de 1800, on comptait dans Paris plus de vingt mille voitures tractées par des chevaux.

Les premiers carrosses publics fonctionnant sur des lignes régulières furent créés en 1662 (3) par le Duc de Roannes (4), le Marquis de Crenan (5) et l'illustre Blaise Pascal (6). Ils seront baptisés carrosses à cinq sols et inaugurés en grande pompe par Messieurs les Commissaires du Châtelet, escortés par la maréchaussée. On craint en effet que les restrictions mises à leur fréquentation par un arrêté du parlement ne suscitent la vindicte du petit peuple. L'usage de ces voitures est « réservé aux bourgeois et aux gens de condition, et interdit aux soldats, pages, laquais et autres gens de livrée... même les manœuvres et gens de bras ». Dans le discours d'inauguration, après avoir remontré les mérites de ces carrosses de huit places répartis sur cinq lignes, avec un départ toutes les huit minutes, on exhorta les bourgeois à «leur tenir main forte », et l'on déclara au petit peuple que « si l'on faisait la moindre insulte, la punition serait rigoureuse ». Le succès est total, certaines femmes même osent se mêler à la cohue qui dès l'après-dînée se presse autour des voitures. Paris compte alors cinq cent mille habitants, et déjà il faut savoir jouer des coudes pour se faire une place. Pourtant les cochers, malgré les mises en garde - aucun écart ni familiarité de leur part ne seront tolérés, ne se privent pas de molester leur clientèle. Au point qu'on orne, afin de permettre aux passagers de déposer leurs plaintes, la porte de chaque voiture d'une, deux, trois ou quatre fleurs de lys, suivant le nombre de coches par ligne, en guise d'immatriculation.

Les carrosses à cinq sols disparaîtront cependant très vite, dès 1677, leur tarif étant passé à 6 sols, et leur impopularité auprès du petit peuple ne se démentant pas.

L'idée du taxi elle, est déjà ancienne puisqu'en 1640 un Monsieur Sauvage a lancé devant l'hôtel Saint Fiacre une station de location de voitures. Lui s'est tout simplement passé de demander un privilège, et son exemple sera vite suivi par d'autres. Les entreprises de location de fiacres (7) vont connaître de beaux jours jusqu'à ce qu'en 1657 le Sieur de Givry demande et obtienne des lettres patentes lui accordant « la faculté de faire établir dans les carrefours, lieux publics et commodes de la ville et faubourgs de Paris tel nombre de carrosses qu'il lui plaira, exposés depuis les sept heures du matin jusqu'à sept heures du soir pour être loués à qui en aura besoin ». Givry prend des associés, et s'assure une confortable part d'un marché... sauvage. Là aussi les cochers passent pour grossiers, ivrognes, voleurs, et finalement peu avenants. S'ils méritent bien un peu leur réputation, c'est qu'ils louent, chaque matin, à la Compagnie qui les emploie, la voiture avec laquelle ils travaillent. Ils tiennent donc à rentrer dans leurs frais, et leurs tarifs varient selon leur humeur et la tête du client autant que suivant la longueur de la course.

Quand en 1828 les premiers omnibus, qui comme les carrosses à cinq sols suivent des lignes régulières, font leur apparition, c'est cette fois sans restriction d'accès. L'engouement pour ces voitures à 14 places séparées en trois classes est immédiat. Mais là aussi, sur un marché juteux, la concurrence est rude. La régulation s'opère cependant, et en 1854, les quatorze compagnies sur le marché préparent une fusion qui mène, l'année suivante, à la naissance de la Compagnie Générale des Omnibus. En 1856, celle-ci dessert 25 lignes régulières, et ses voitures à impériale font partie intégrante du paysage parisien. Durant le siège de Paris, par exemple, en 1870 et 1871, les voitures de la CGO seront réquisitionnées pour transporter les blessés des fortifications jusqu'au Val de Grâce (8).

En 1853, Alphonse Loubat (9) revient de New York où il vient d'équiper la ligne de tramway hippomobile de Harlem, qui fonctionne depuis 1832, de son tout nouveau modèle de rail « à gorge », réglant enfin le problème de la dangerosité des rails qui jusque là saillaient sur la chaussée. Il compte bien équiper Paris d'un tramway. On lui donne l'autorisation de faire un essai, et il lance sur un parcours de 2,5 kilomètres une voiture à impériale de cinquante places. Le trajet se fera en huit minutes. Les pouvoirs publics sont convaincus, et encore une fois une multitude de compagnies va se disputer le territoire parisien et les lignes de banlieue.

L'abondance de chevaux dans la capitale à la fin du 19ème siècle n'est pas sans poser de sérieux problèmes d'intendance. En 1880, la CGO en entretient à elle seule 16500, la plus grande écurie privée du monde. Dans ces conditions, la croissance est forcément limitée. Or, la révolution industrielle née en Angleterre pendant la seconde moitié du 18ème siècle poursuit sa marche et gagne le continent. La France, l'Allemagne et la Hollande vont développer les premiers modèles de véhicules à traction mécanique, avec un essai à Paris en 1875 de locomotives à vapeur. Celles-ci déplaisent fortement aux parisiens et on va les reléguer sur les lignes de banlieue où elles sont souvent immobilisées par des pannes. Les premiers modèles fiables vont apparaître au moment de l'exposition universelle de 1889. En 1900, treize compagnies se partagent le marché d'un tramway parisien aux techniques disparates. On trouve, à côté des voitures à cheval, des locomotives à vapeur, à air comprimé, à accumulateurs, ou électriques. La naissance du métropolitain, qui transporte aujourd'hui 4 millions de passagers par jour, et l'arrivée des automobiles, vont transformer complètement le paysage parisien. Bien sûr, le changement va s'opérer très progressivement, et pendant plus de cinquante ans vont cohabiter tous ces moyens de transport.

La France compte en 1900 trente constructeurs automobiles, et produit plus de 30 000 voitures par an, soit 48% du marché mondial, loin devant les USA. Il est amusant de noter que, en toute logique, l'Angleterre aurait dû être la première à développer une industrie automobile. Dès 1801, le premier (et très sommaire) véhicule britannique parcourt 10 miles dans les rues de Londres. En 1865, pourtant, le « locomotive act » viendra arrêter l'automobile dans son élan en stipulant que « tout engin motorisé devait être précédé d'un piéton agitant un drapeau rouge ». Mesure propre à décourager même le plus flegmatique des automobilistes anglais.

Nous terminerons notre panorama des transports parisiens à l'aube du vingtième siècle, avec l'évocation de l'apparition, en 1904, des premiers taximètres, fiacres hippomobiles équipés d'un odomètre. L'invention de cet instrument de mécanique propre à mesurer les distances n'était pas nouvelle (l'inventaire des raretés de l'empereur Commode mentionne l'un de ces instruments fixés sur une charrette pour mesurer les chemins (10)), mais il a été considérablement amélioré au cours des dernières décennies, et les parisiens se réjouissent naïvement de l'adoption de cet appareil, qui, pensent-ils, mettra enfin un terme aux malhonnêtetés devenues proverbiales des cochers. En 1907, un article consacré à la profession dans « Lectures pour tous » expose toutes les méthodes employées par les conducteurs de fiacres pour trafiquer leurs odomètres et leur faire afficher au compteur une somme bien supérieure à celle que leur client aurait dû normalement débourser pour leur course. Les cochers, pourtant, sont désormais formés dans des écoles privées et payantes, ou gratuitement par la Société d'Assistance aux animaux, qui tient à s'assurer qu'ils soient « polis, de bonne tenue, et traitant leur cheval avec humanité ». Une véritable « Sorbonne pour cochers » qui formera la première femme à intégrer cette corporation, « une vigoureuse gaillarde du nom de Clémentine Dufaut » qui compte bien développer une nombreuse clientèle de femmes, « dont beaucoup » dit-elle « ont à se plaindre des façons de certains cochers. Elles auront plus confiance dans une femme pour les conduire (11)». L'idée des taxis roses a donc déjà cent ans !

 

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Notes

1.  Par MM. Noël, Carpentier et Puissant Fils ; 1838.  (back)

2.  La première était la maîtresse du dauphin Henri (qui deviendrait Henri II), la seconde l'une de ses filles illégitimes.  (back)

3.  Loret, pour célébrer l'évènement, écrira, dans sa Muse Historique du 18 Mars 1662 :
« L'établissement des carrosses
Tirés par des chevaux non rosses
(Mais qui pourront à l'avenir
Par leur travail le devenir)
A commencé aujour'huy mesmes...
Source : Les carrosses à cinq sols ou les omnibus du dix-septième siècle, Jean Nicolas Monmerqué, 1828.  (back)

4.  Homme d'affaires et de sciences, le Duc de Roannes essaiera de convaincre Huygens (qui, ironie de l'histoire inventera le moteur à explosion dont seront dotées, deux siècles et demi plus tard, les voitures automobiles) de se faire accorder une patente pour Amsterdam. L'affaire ne se fera pas, les rues d'Amsterdam étant si étroites que les particuliers devaient demander pour sortir en carrosse une permission exceptionnelle. P. Jansen, Revue d'histoire des sciences et de leurs applications ; 1951, vol. 4.  (back)

5.  Egalement détenteur du privilège exclusif des Chaises de Crenan, sortes de chaises de poste.  (back)

6.  Inventeur en 1642 de la Pascaline, première machine à calculer aux applications cependant limitées à l'addition, la soustraction, la multiplication par additions successives et la division par soustractions successives.  (back)

7.  Une dénomination tirée du nom de la première station qui aura la vie dure.  (back)

8.  archives de la RATP  (back)

9.  Connu notamment pour avoir importé des Etats Unis d'Amérique le tramway hippoomobile, et y avoir exporté des pieds de vigne du Bordelais. Auteur également du Guide du vigneron américain.  (back)

10.  Dictionnaire des inventions, op. cit.  (back)

11.  Lectures pour tous, Hue cocotte ! Les débuts du taximètre, 1907.  (back)

 

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Published October 19, 2009



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