Swans Commentary » swans.com 27 juillet 2009  

 


 

 

Swans en français

 

Réflexions sur la démocratie
 

 

Simone Alié-Daram

 

 

 

 

(Swans - 27 juillet 2009)   Démocratie et république -- deux concepts à ne pas confondre.

La république, res publica, c'est l'objet du pouvoir politique. La démocratie désigne, elle, le titulaire du pouvoir politique c'est-à-dire le peuple.

Les deux termes ne sont pas synonymes ; bien sûr, la démocratie est républicaine mais la république n'est pas forcément démocratique, car le titulaire de la chose publique est une personne unique qui a les compétences nécessaires et reconnues (science et sagesse).

 

La vision de Platon

 

Platon dans « La république » se demande quel doit être, dans l'idéal, le meilleur gouvernement à offrir à la cité ?

L'Etat le meilleur serait l'Etat le plus juste. Cinq constitutions sont possibles pour lui:

- La constitution parfaite des « philosophes-rois » où le pouvoir et la sagesse sont réunis dans une seule main ;

- Puis quatre constitutions imparfaites : la timocratie (basée sur l'honneur), l'oligarchie (fondée sur l'appétit des richesses), la démocratie (fondée sur l'égalité des riches et des pauvres) et la tyrannie (l'absence de lois).

On passe inévitablement d'un régime à l'autre dans le sens d'une dégradation, la démocratie se situant à la fin du parcours et donnant naissance forcément à la tyrannie.

La démocratie n'a pas de constitution mais un « bazar de constitutions » où chacun choisit de se conduire comme il lui convient, la liberté de tous est entendue au sens négatif (le droit de faire ce qu'on veut) c'est la licence, plus personne n'accepte les règles ou les obligations, plus personne ne veut obéir, la Cité démocratique est en guerre avec elle-même.

« Eh bien à mon avis, la démocratie apparaît lorsque les pauvres ayant emporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques [...] C'est un gouvernement agréable, anarchique et bigarré qui dispense une sorte d'égalité aussi bien à ce qui est inégal qu'à ce qui est égal. » Platon, La République, VIII, 557b-558b

« Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s'inquiéter des lois écrites, afin de n'avoir absolument aucun maître. Eh bien ! C'est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie. [...] Ainsi, l'excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l'individu, et dans l'Etat. » Platon, La République, VIII, 562b-564a.

Tout cela ne vous rappelle rien ?

Platon critique l'idée de démocratie (liberté, égalité pour tous) et dit que dans les faits, c'est le plus mauvais des régimes. La cité parfaite étant la totale antithèse de la démocratie. C'est la vision de Platon.

 

La vision de Tocqueville

 

Tocqueville, dont la thèse est inspirée par Platon, soutient que la démocratie est moins une constitution qu'une manière de vivre.

La démocratie est politique, (gouvernement du peuple par le peuple). Le peuple prend part aux affaires publiques ; mais elle est aussi sociologique, (privilégie le bien-être matériel, la sécurité plutôt que la gloire). Egalité et égalisation des hommes c'est l'obsession (une passion) des peuples démocratiques.

Mais l'égalité nuit à la liberté. La démocratie porte en elle le germe de sa propre destruction. Les occasions d'agir ensemble disparaissent, l'indifférence est collective.

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas; il les touche et ne les sent point; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie. » Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1840, Ed. Gallimard, 1968.

N'ayant plus de goût que pour le bien-être on demande un état fort qui protège nos personnes et nos biens, lui laissant le soin de se soucier des intérêts collectifs. (Au-dessus de la masse indifférenciée du peuple l'état prend des décisions pour la collectivité sans nous consulter. L'état est donc décrit comme un père abusif qui infantilise ses enfants au lieu de les faire grandir : c'est donc un nouveau despote, déshumanisant et déresponsabilisant.)

« Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, prévoyant, régulier et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre? » Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1840, Ed. Gallimard, 1968.

C'est la vision de Tocqueville. Remède préconisé : créer des corps intermédiaires (associations) permettant aux individus de redevenir citoyens en participant à des tâches communes.

 

La philosophie politique moderne (17ème siècle)

 

Depuis le 17ème siècle la démocratie est caractérisée par le règne de la loi (donc un gouvernement légal) et reconnaissant les Droits de l'Homme, (le respect de l'individu est une véritable limite à l'exercice du pouvoir de l'état.)

C'est le concept technique avec la notion de représentation (les mandats), la notion de contrat social (confiance des citoyens envers le pouvoir public, Rousseau) et la notion de l'esprit des lois (Montesquieu).

La puissance publique appartient à l'ensemble des hommes, les gouvernants étant mandés par les gouvernés et doivent agir en leur lieu et place. Les mandataires n'ont ni autorité politique ni initiative en matière de gouvernement et leur mandat est révocable. C'est par le consentement qu'il accorde au pouvoir public que l'individu se fait citoyen.

La distinction des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) apparut pour la première fois chez Montesquieu dans « De l'esprit des lois » et permet d'éviter tout arbitraire.

Cependant Rousseau critique la notion de représentation. Les hommes sont par nature incapables de faire entièrement abstraction de leurs intérêts particuliers. Il y a donc un véritable paradoxe de la démocratie : elle doit être directe car une représentation est incompatible avec la volonté générale ; mais si elle est directe alors elle est corrompue... Elle n'est donc pas possible. Ce n'est qu'une Idée, ou un Idéal.

La démocratie est le régime le meilleur des régimes politiques, en fait, l'idéal (on y revient !) vers quoi nous devons tendre, ce, étant donné la condition humaine, que nous pouvons avoir de mieux.

C'est la vision du siècle des lumières

 

Au début de notre XXIème siècle sommes-nous dignes de la démocratie ?

 

Et nous, et nous ? Que devenons nous ballottés entre l'idéal et le quotidien ? Las!: « La société idéale n'existera jamais parce qu'il n'y a pas d'hommes idéaux ou de femmes idéales pour la faire. » (Laborit « Eloge de la fuite »)

Eh oui La démocratie, régime vieux de 26 siècles nous demande le meilleur de nous-mêmes. Aucun régime ne nous demande autant de sortir de notre ego et, ce qui nous est très peu naturel, accepter la différence.

Mais aussi de renoncer à toute vérité absolue la démocratie est la dissolution de toutes les certitudes. « Nous ne pouvons que progresser, pas à pas, étape par étape en tâtonnant » (Laborit ibid). Avec pour seul outil le débat, meilleure façon de combattre pour des vérités essentielles.

Le peuple, sans être au pouvoir, a cependant le pouvoir des choix, des contrôles, des sanctions et ceux qui sont en charge du pouvoir doivent agir conformément aux lois.

Apprendre à user de ce pouvoir pour l'intérêt général, apprendre à raisonner juste et pratiquer solidarité et fraternité. « Ce n'est pas l'utopie qui est dangereuse car elle est indispensable à l'évolution ; c'est le dogmatisme que certains utilisent pour maintenir leur pouvoir, leurs prérogatives et leur dominance. » (Laborit ibid)

Ah ! La dominance ! Comment n'y pas succomber ? Et l'individualisme ? Vrai grand danger de la démocratie. Pourtant l'adage est bien connu qui dit : « Ta liberté s'arrête où commence celle de voisin ». Oui mais la liberté n'empêche pas la compassion au sens de souffrir avec.

Il ne faut pas trop demander ! Mais ne pas porter préjudice aux autres on peut essayer, non? C'est déjà un début. Et la démocratie restera un rêve....infini.

 

 

Bibliographie :

- Philocours.com « La démocratie est-elle le moins mauvais des régimes ? ».
- Platon, « La république » In Platon Œuvres complètes bibliothèque de la Pléiade Gallimard.
- Henri Laborit « Eloge de la fuite » folio essais Gallimard.

 

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Published July 27, 2009



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